Des consoles de jeu au Grand Palais, à Paris ? A partir du jeudi 10 novembre, dans les galeries sud-est du Grand Palais, débute Game Story, une exposition consacrée aux jeux vidéo et à leur histoire. Organisée avec la collaboration duMusée Guimet et de MO5.COM, association pour la préservation du patrimoine informatique et vidéoludique, l'exposition est conçue par Philippe Dubois, président de MO5, et Jean-Baptiste Clais, chargé des collections de l'association et conservateur au Musée Guimet.
Pour Jean-Baptiste Clais, cette manifestation "s'adresse au grand public et particulièrement à ceux qui ne connaissent pas le jeu vidéo, grâce à une grande mise en contexte". Le mot clé ? "Bienvenue : c'est l'objectif que nous nous sommes fixé : éviter le jargon, le discours référencé et ouvrir ce domaine à des gens qui ne connaissent rien."
La présence des jeux vidéo dans une institution culturelle n'est pas une première. Dès 2004, le Tri Postal de Lille recevait Game On, l'exposition itinérante créée par le Barbican, centre culturel londonien. Depuis, la présence du jeu vidéo dans les institutions, notamment parisiennes, s'affirme : Gaîté Lyrique, Centre Pompidou, ou encore Musée des arts et métiers avec Museogames, une exposition présentée de juin 2010 à mars 2011, à laquelle MO5 avait déjà contribué. Mais la scénographie imaginée par l'artiste Pierre Giner pour Museogames, dont les néons d'un bleu fluorescent éclairaient une salle plongée dans la pénombre, proposait, d'après MO5, "une forte mise en ambiance, c'était une exposition adressée aux passionnés".
Confié aux scénographes de la Fabrique 66, c'est un accrochage sobre et chronologique qui accueille le visiteur de Game Story. Pour les commissaires, "la clarté est un choix de scénographie, on ne voulait pas faire une mise en ambiance geek ou gamer". Tout semble avoir été pensé pour ne pas brusquer les publics les moins familiarisés au jeu vidéo, en témoigne la présence d'un lexique affiché à même les murs de l'exposition.
"UNE CULTURE DENSE À LA PORTÉE DE TOUS"
Super Mario, Sonic, Tomb Raider, World of Warcraft... Les commissaires de l'exposition veulent proposer des références auxquelles tout visiteur a pu êtreconfronté, qu'il soit joueur ou néophyte. Les organisateurs espèrent souligner ainsi la densité de la culture vidéoludique et sa diffusion au-delà des consoles de jeux, afin de prouver que "les joueurs ne sont pas une population à part". Les responsables de MO5 déclarent avoir sélectionné le contenu de cette exposition en recherchant les jeux "incontournables" depuis la naissance de ce loisir : il en résulte une sélection de quatre-vingt jeux, entièrement jouables sur les dispositifs d'origine, afin de respecter les conditions de diffusion et de réception de l'époque.
Mais l'exposition ne présente qu'une facette de cette culture si dense. Après plus de quarante ans d'existence, de sagas et de créations cultes, nombreux sont les jeux pouvant être considérés comme incontournables. Cette sélection ne laisse donc que peu de place à une création contemporaine et indépendante, souvent plus confidentielle. Alors qu'on pourra facilement se confronter aux images deSonic ou de Mario, tant les citations de ces personnages sont nombreuses en dehors du domaine vidéoludique, il est plus difficile pour un public non averti dedécouvrir d'autres productions, moins médiatiques.
Respect de la chronologie, des machines d'époque : cette mise en contexte construit une exposition essentiellement pédagogique et historique. On peut parfoisregretter que les classiques ne s'exposent pas sous un jour nouveau et semblentêtre restés "là où on les avait laissés". Mais la juxtaposition de ces jeux à des vitrines d'accessoires, d'affiches de films, de livres et de jouets vient replacer ces titres dans un contexte culturel plus général. Ce parti pris de la "mise en époque" permet de dresser en filigrane une histoire des évolutions techniques du domaine. Au final, l'agréable surprise vient surtout de l'exposition de bornes d'arcade (Pac Man, Dance Dance Revolution...), alors que la plupart des jeux exposés sont jouables dans un contexte domestique, ces bornes permettent aux visiteurs d'expérimenter des dispositifs aujourd'hui assez peu accessibles.
AUX ÉTATS-UNIS, LE JEU INDÉPENDANT S'EXPOSE
Outre-Atlantique, des initiatives naissent également au sein des institutions. En juin, à la suite d'un projet de loi californien destiné à interdire la vente de jeux violents aux mineurs, la Cour suprême des Etats-Unis rendait un arrêt conférant au jeu vidéo le statut d'œuvre protégée par le premier amendement. L'été dernier, à l'occasion d'une exposition autour des objets interactifs, le MoMa a proposé, le temps d'une nuit, un événement intitulé "Arcade", une sélection de jeux jouables par les visiteurs dans les espaces d'exposition. Au Smithsonian American Art Museum, c'est àpartir de mars que les visiteurs pourront découvrir une exposition intitulée The Art ofVideo Games retraçant elle aussi les quarante années d'évolution du jeu vidéo.
Des expositions plus centrées sur les créations indépendantes ont aussi vu le jour ces dernières années. C'est par exemple le cas de Babycastles : cette salle d'arcade indépendante, créée en 2010 par Kunal Gupta à New York dans un sous-sol du Queens, installée depuis à Manhattan puis à Brooklyn, expose dans un esprit "fait maison" les créations indépendantes et d'amateurs de jeux vidéo. Un objectif affiché de Babycastles est d'initier les jeunes visiteurs aux différentes formes que peut prendre le jeu vidéo, afin que les produits de l'industrie ne soient pas considérés comme en étant la seule forme existante.
Le Canada semble également multiplier ce type d'initiatives. Outre les collectifs TAG et Kokoromi récemment présentés à la Gaîté Lyrique, on peut par exempleciter l'association The Hand Eye Society, qui réunit à travers de nombreux projets une forte communauté de créateurs de jeux vidéo indépendants. L'association diffuse les travaux de ces derniers grâce au "Torontron", une borne d'arcade de 1982 réhabilitée afin de servir de borne d'exposition pour six jeux indépendants. L'objet se déplace dans différentes manifestations et permet, par sa simple présence, de promouvoir différents jeux et créateurs.
Marion Coville