Des personnes prient devant le cercueil d'un combattant de l'Armée syrienne libre à Idlib, dans le nord de la Syrie, le 29 février 2012 (Zohra Bensemra/Reuters)
Des officiers de l'armée syrienne libre et des membres du Conseil national syrien (CNS), principale plateforme d'opposition, se sont réunis en début de semaine à Istanbul. Evoquée, la création d'un partenariat privilégié entre les deux organisations met du temps à se concrétiser, faute d'un consensus sur l'armement des combattants syriens au sein de l'opposition.
La question est pourtant incontournable. Face à la répression du régime syrien, les hommes sont de plus en plus nombreux à prendre les armes pour défendre les manifestants pacifiques.
Créée l'été dernier par les premiers officiers déserteurs dont son chef actuel Riyad el-Asaad, l'Armée syrienne libre (ASL) est cependant plus une conglomérat de groupes autonomes composé de soldats et de civils ayant rejoint l'opposition armée, qu'une organisation structurée.
Face à l'immobilité de la communauté internationale, le rôle de l'ASL, qui jouit d'une grande popularité sur le terrain, s'impose dans la résolution de la crise syrienne. La nature du soutien à lui apporter est cependant problématique.
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Quelle stratégie pour la lutte armée ? Le CNS divisé
Depuis sa création, le CNS a lui toujours privilégié un règlement pacifique du conflit. A l'heure où l'Arabie saoudite et le Qatar se sont tous deux déclarés en faveur d'un armement de l'ASL, la plateforme d'opposition semble cependant avoir mesuré le risque que les groupes de combattants s'arment coûte que coûte.
Très peu équipée, l'ASL peut en effet être amenée à accepter les sollicitations d'acteurs extérieurs motivées par des intérêts géopolitiques dans la région, plus qu'humanitaires.
Le 1er mars, Burhan Ghalioun, son président, a ainsi annoncé la création d'un bureau militaire dont le but est d'aider l'Armée syrienne libre à coordonner ses actions sur le terrain. L'objectif est d'unifier les unités, de contrôler les armes livrées afin qu'elles n'échappent pas à la structure de l'ASL.
Cette déclaration, en faveur d'un rôle à part entière de l'ASL, fait écho au communiqué du CNS publié à l'issu de la conférence des « amis de la Syrie » qui a eu lieu le 24 février à Tunis. Sur son site, le groupe d'opposition écrit :
« Les amis de la Syrie ne devraient pas empêcher les pays d'aider individuellement l'opposition syrienne par le biais de conseillers militaires, d'entraînement de de livraison d'armes pour se défendre. »
Akil Hachem : « On ne peut pas diriger une guerre de l'extérieur »
Cependant, la position du CNS sur la question de l'armement n'est pas si tranchée. Sa porte-parole Bassma Kodmani tempère :
« Le CNS continue à soutenir autant que possible toutes les stratégies pacifiques. L'aide à l'ASL n'a pour unique but de permettre la protection des mobilisations pacifiques du peuple syrien, de leur permettre de continuer à exister. C'est purement défensif. »
Une position modérée qui ne fait pas l'unanimité au sein du CNS. Partisan d'une stratégie offensive et d'un véritable état-major de l'ASL, Akil Hachem, présenté comme le conseiller militaire du CNS, a claqué la porte début mars.
Interviewé par Le Figaro, il affirme qu'on « ne peut pas diriger une guerre le l'extérieur ». Puis qu'il reviendra lorsque le CNS aura pris « clairement une position demandant une intervention internationale ».
Alors que les divisions internes du CNS ralentissent ses prises de décision, d'autres acteurs, peu connus jusqu'alors, tentent de s'affirmer dans le paysage morcelé de l'opposition syrienne.
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Nofal al-Dawalibi : un proche de l'Arabie saoudite pour la lutte armée
Nofal al-Dawalibi est l'un d'entre eux. Il préside le peu connu Conseil national syrien uni (CNSU), créé en août 2011. Il est opposé au CNS, qu'il n'a pas intégré. Cet homme d'affaires accuse ce dernier d'avoir « toujours refusé un dialogue franc » avec lui, fustige l'influence des Frères musulmans dans l'organisation.
Nofal al-Dawalibi annonce la création « prochainement » d'un « gouvernement de transition ». Car lui, c'est « l'alternative » face un CNS « qui n'a aucune légitimité en Syrie ».
Il s'en dissocie avant tout sur la question de l'armement. Etabli en Arabie saoudite, il défend la position du royaume sur ce point :
« Je suis pour apporter une aide aux combattants syriens et pour une intervention étrangère. »
Malgré son manque de légitimité criant parmi les activistes et l'absence de reconnaissance du Quai d'Orsay à son égard, il n'est pas à ignorer totalement, vu les liens qui l'unissent à l'Arabie saoudite.
Un lien fort avec l'Arabie saoudite, des connexions avec l'ASL
Après avoir été emprisonné suite au coup d'état du Baas en 1963, son père Maarouf al-Dawalibi a immigré dans le royaume saoudien. Il a sur place été le conseiller des rois Fayçal, Khaled et Fahd ben Abdelaziz ben Saoud. Il a aussi œuvré pour l'Arabie saoudite en Afghanistan et au Pakistan durant la guerre froide.
Alors que les discussions entre le CNS et l'ASL avancent lentement, ses contacts, certes limités mais existants avec l'armée syrienne libre notamment via son chef Riyad el-Assaad, peuvent de plus être pris au sérieux.
Car sur place, certains membres de la lutte armées sont ouverts à toute initiative pouvant leur permettre d'améliorer leur équipement. Joint par Rue89, un officier dirigeant un groupe de soldats déserteurs affirme qu'il a ralié « l'ASL de Riyad el-Assaad, qui est en lien avec le CNS ». Mais il ajoute :
« Je ne connais pas Nofal al-Dawalibi mais s'il est prêt à nous aider matériellement, nous sommes d'accord pour discuter avec lui. Il faut nous aider, nous n'avons pas assez de munitions. Le peuple se fait massacrer et le monde ne fait rien. »
Un soutien à l'armée libre clairement intéressé ?
Même si son influence reste pour le moment discutée, Nofal al-Dawalibi est à plus d'un titre représentatif des convoitises que suscite la Syrie. S'il souhaite officiellement « armer pour mieux contrôler » l'acheminement des armes qui affluent en Syrie, les visées géopolitiques saoudiennes ne sont pas loin.
Le président du CNSU veut rétablir un gouvernement sunnite fort – tout en intégrant les minorités –, accuse les Frères musulmans syriens du CNS d'être de mèche avec l'Iran, les milices chiites irakiennes de s'introduire en Syrie pour déstabiliser le pays. Il défend clairement un axe sunnite face au « croissant chiite » formé par l'Iran, Damas et le Hezbollah libanais.
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Le CNCD d'Haytham Manna : contre toute militarisation mais isolé
Haytham Manna, opposant politique exilé à Paris depuis 1978, représente à l'étranger le Comité national de coordination des forces de changement en Syrie (CNCD). Il est lui opposé à toute initiative des pays du Golfe en Syrie. Dans une interview au Point, il déclare :
« Les pays du Golfe souhaitent dévier la résolution du conflit syrien vers des aspects plus confessionnels que démocratiques. »
Et d'ajouter qu'avec 9 000 prisonniers politiques dans ses geôles, l'Arabie saoudite doit bien peu se soucier de la démocratie syrienne.
A un plus large degré, Haytham Manna refuse fermement toute militarisation de la révolution. Cela risquerait selon lui d'entraîner des dommages collatéraux qui provoquerait la désolidarisation d'une partie de la société civile syrienne.
Son écho est cependant faible parmi cette dernière, qui ne considère pas le CNCD comme représentant légitime de son combat pour la démocratie. Hassan Abdel Azim, qui dirige le CNCD, était avant la révolution à la tête de l'Union arabe socialiste, un parti d'opposition mais qui ne disposait pas d'une grande marge de manœuvre dans le paysage politique syrien verrouillé par le pouvoir.
Une critique souvent formulée est aussi sa faible présence dans les manifestations.
Un groupe d'opposition boudé par la rue syrienne
Les opposants reprochent également à Haytham Manna son manque de clarté, durant les premiers mois du régime, sur sa volonté de voir le régime tomber. L'opposant, dans un premier temps, n'était pas opposé à un dialogue avec le pouvoir afin d'aboutir à une transition démocratique, ce qui a été mal perçu par la rue syrienne.
Résultat : l'accord conclu fin décembre 2011 entre le CNS et le CNCD afin que les deux forces s'unissent dans leur lutte contre le régime est tombé à l'eau. Après les protestations de manifestants et de membres du CNS contre cet accord, le Conseil national syrien s'est rétracté.