Cet homme est dangereux. Au mois de janvier encore, la mention aurait pu figurer sous un portrait représentant un visage patibulaire accompagné de ces quelques lignes comme au temps des Dalton: Florian Fritz, trois-quart centre, 1, 78 m, 98 kilos. Le pistolero du stade toulousain avait beau aligner les performances de très haut niveau en top 14, sa mauvaise réputation semblait lui interdire à jamais un retour en équipe de France. Garçon à problèmes, joueur indiscipliné, que n’entendait-on pas dans l’entourage du XV tricolore pour justifier une non-sélection qui ressemblait à un déni de justice? Le directeur technique national, Jean-Claude Skrela dut même se fendre d’une déclaration officielle: non, ce n’était pas lui qui au sein du comité de sélection faisait rempart de sa haute autorité, au retour en bleu de Florian Fritz.
Aujourd’hui, tout est oublié. Le banni est soudain rentré en grâce pour la clôture du Tournoi des 6 Nations. Samedi contre le Pays de Galles, dans un Millenium en proie à ses rêves de grand chelem, le Toulousain trônera au centre de l’attaque tricolore. Philippe Saint-André, le sélectionneur, lui a confié la mission de réveiller une ligne offensive endormie pour ce qui serait l’unique exploit d’une compétition ratée: une victoire contre les joueurs en rouge, les favoris d’un peuple. Face au format poids lourd des centres adverses, PSA compte sur la défense renversante de Fritz. Il mise aussi sur la capacité du nouvel arrivant à franchir les lignes. Depuis le début de la saison, il ne se passe pas un match sans que l’attaquant du stade toulousain, à trois ou à quatre reprises, s’engouffre à toute vitesse dans un trou d’aiguille pour offrir un essai à un partenaire ou pour marquer lui-même.
Saint-André a fini par en convenir. Par quelque bout qu’on le prenne, Florian Fritz est un joueur rare sous nos latitudes. Il fait souffler un joli vent d’hémisphère sud sur un championnat engoncé dans un classicisme nordique. Le joueur de Guy Novès possède une explosivité unique par ici. Sa capacité à accélérer lors de la prise de balle vaut celle des meilleurs Néo-zélandais ou Australiens. Pour ce talent, à 28 ans, le trois-quart centre mériterait bien plus que ses 19 misérables sélections. On ne l’avait plus vu en bleu depuis l’été 2010 et la tournée naufrage en Afrique du sud et en Argentine. Toujours cette mauvaise réputation…
Dans son club, le jeune homme né à Sens (Yonne) et formé à Bourgoin, n’a pourtant que des partisans. Lorsqu’il fut encore victime de cet étrange procès en sorcellerie au début de l’année, ses coéquipiers se précipitèrent devant les micros pour vanter le bon camarade, le copain impeccable sur et en dehors du terrain. C’était l’ami Fritz, celui avec qui on aimait autant partager le ballon qu’un barbecue. Les entraîneurs soulignèrent les progrès accomplis sur le seul point concret qui méritait reproche: une tendance excessive à perdre ses nerfs et à collectionner les cartons jaunes voire rouges. Après la pitoyable défaite contre l’Angleterre (24-22) au stade de France, Philippe Saint-André n’a pas pu résister. Il a rappelé l’exclu soudain transformé en sauveur de la patrie en danger. L’ambition du héros malgré lui est sans doute beaucoup plus modeste. Il se contenterait volontiers, on en prend le pari, de convaincre le sélectionneur de ne plus l’oublier.