Le Monde.fr | 16.03.12 | 15h23 • Mis à jour le 16.03.12 | 18h32
De plus en plus nombreuses – leur nombre a doublé depuis quarante ans –, mais surtout de plus en plus pauvres, les familles monoparentales aimeraient que leur sort suscite plus d'intérêt. D'après un sondage Opinionway publié début mars, 86 % des parents solos souhaiteraient que leur situation soit davantage prise en compte dans la campagne présidentielle.
Passage en revue de leurs revendications avec Patricia Augustin, secrétaire générale de la Fédération syndicale des familles monoparentales et Christine Kelly, présidente de la fondation K d'urgences et auteur du livre Familles monoparentales, le scandale du silence.
Les familles monoparentales ont-elle été plus touchées par la crise ?
Patricia Augustin : Statistiquement, elles ont toujours été plus pauvres que les autres. C'est donc assez logiquement que quand la situation économique se détériore, elles se retrouvent plus vite impactées. D'après les chiffres de l'Insee en 2008, 30 % des personnes issues de familles monoparentales vivaient en dessous du seuil de pauvreté [un niveau de vie inférieur à 949 euros par mois], soit une proportion deux fois plus forte que dans l'ensemble de la population. Cet hiver encore, les associations caritatives expliquent avoir reçu davantage de parents solos.
Christine Kelly : On nous parle de la crise à longueur de journée, sans jamais nous dire que les familles monoparentales sont en première ligne. La séparation appauvrit la famille, avec un salaire de moins et des charges incompressibles. Pour la personne qui a la garde des enfants, la pension alimentaire ne suffit pas toujours. Et plus ces familles ont d'enfants, plus la précarité les guette.
Quelles sont les difficultés recontrées par ces familles ?
Patricia Augustin : Les problèmes rencontrés sont communs à ceux que connaissent de nombreux Français : la difficulté de trouver un emploi et un logement. Plutôt que de travailler pour payer la garde des enfants, les mères de familles [à la tête de 85 % des familles monoparentales] préfèrent s'arrêter ouprendre un congé maternité. Il est souvent impossible de trouver une structure de garde adaptée aux horaires dispersés ou étendus. En ce qui concerne le logement, ces familles se tournent vers l'habitat social, qui connaît une forte pénurie, particulièrement en Ile-de-France.
Christine Kelly : Le problème principal, c'est le manque de ressources dont disposent ces familles, y compris les foyers aisés. Certaines mamans, qui gagnent pourtant 3 000 euros par mois, sont obligées de se faire aider financièrement par leurs parents pour financer la garde de leurs enfants.
Existe-t-il d'autres problèmes plus spécifiques ?
Christine Kelly : Il ne faut surtout pas oublier les problèmes d'ordre psychologique. Les mères de famille monoparentales se retrouvent seules face aux difficultés du quotidien, et beaucoup souffrent de déprime, voire de dépression. Ces femmes n'intéressent personne, en ont marre d'être occultées, abandonnées. Il est nécessaire de libérer leur parole. Certaines ont même honte, et cachent parfois leur monoparentalité.
Patricia Augustin : Les autres problèmes sont liés aux conflits persistants souvent entre les parents séparés. Des désaccords pour embêter l'autre, mais aussi, inconsciemment, pour rester en contact avec lui. Les principales difficultés sont le non-respect des droits de visite et le non-versement des pensions alimentaires. Ces derniers sont de plus en plus fréquents. Près de 36 000 contentieux ont été engagés l'an dernier au titre des recouvrements de pensions. Mais le phénomène est beaucoup plus large. On parle de 30 % des pensions alimentaires.
Comment répondre à la hausse du non-paiement des pensions ?
Patricia Augustin : Il y a quelques années, certains parents orchestraient leur insolvabilité. Aujourd'hui, c'est avant tout par faute de moyens que certains ne suivent plus. Le juge peut réadapter la pension. Fixer un montant de 10 voir 20 euros, c'est théoriquement possible. Mais le plus souvent, le juge préfère opter pour une pension à taux zéro, qui ouvre à l'autre parent le droit de toucher une allocation de soutien familiale (ASF) d'un montant de 80 euros. Pour nous, ce n'est pas la solution. Nous souhaitons l'instauration d'un différentiel, qui permettrait la fixation d'une petite pension (20 euros par exemple), qui serait complétée de l'ASF (60 euros complémentaires). Malgré une chute des revenus, il est indispensable d'impliquer le parent dans la vie et l'éducation de l'enfant.
Christine Kelly : Il faut de toute urgence expliquer aux parents à qui la pension n'est pas versée qu'ils peuvent se rendre chez n'importe quel huissier de justice. Il suffit d'avoir avec soi la décision du tribunal. Sous quelques jours, ils pourrontrécupérer leur pension. Certains n'ont pas le réflexe, d'autres n'osent pas le faire. Il s'agit pourtant d'une procédure simplifiée de paiement direct, qui permet derecouvrir sans frais une pension alimentaire en passant par un tiers, généralement l'employeur.
Qu'attendez-vous de cette campagne présidentielle ?
Patricia Augustin : Nous espérons une meilleure prise en compte des revendications des familles monoparentales, qui représentent près de deux millions de foyers en France. Seul Nicolas Sarkozy a fait une proposition, en évoquant la création possible d'une agence de recouvrement des pensions alimentaires. C'est une bonne idée, mais nous déplorons le fait que toutes les pensions seront contrôlées. Quand les choses se passent bien entre les parents, il n'y a pas de raison d'avoir recours à un tiers.
Christine Kelly : La proposition de Nicolas Sarkozy est une bonne chose. Mais il reste beaucoup à faire pour ne pas occulter la souffrance des parents isolés. Le système social français est plutôt bien fait, mais certaines familles monoparentales passent à travers les trous de la passoire. Des trous, qu'il faut de tout urgenceapprendre à colmater.
Propos recueillis par Pauline Pellissier