Avant de s'enregistrer sur les sites de micromessagerie, les internautes chinois, doivent, depuis vendredi 16 mars, indiquer leur vrai noms. Cette fin de l'anonymat sur les réseaux sociaux avait été annoncée à la fin de l'année 2011 par les autorités chinoises.
Pour l'heure, la mesure, appliquée par arrêté municipal, ne concerne que les services hébergés à Pékin, mais d'autres villes, comme Shanghaï et Guangzhou devraient suivre. "Les sites Internet gérant des microblogs doivent mettre en place et améliorer le système de censure de leurs contenus", selon les nouvelles règles publiées par le site officiel de la municipalité de Pékin. Le nombre d'utilisateurs de ce genre de site, qui permet de mettre en ligne des micromessages– sur le modèle de Twitter – ont explosé.
Si la Chine compte un peu plus de 500 millions d'internautes, Sina Weiborevendique à lui seul 300 millions de comptes ouverts. A la fin 2010, ils n'étaient que 63 millions d'utilisateurs. Les services chinois bénéficient de l'interdiction sur le territoire de concurrents américains, comme Twitter. D'après les analystes, Sina Weibo est valorisé à près de 5 milliards de dollars (3,8 milliards d'euros), sur l'indice américain du Nasdaq.
Ce n'est pas la première fois que les autorités chinoises marquent leur défiance à propos des réseaux sociaux et des sites de micromessagerie. Fin octobre, les autorités avaient déjà ordonné un renforcement du contrôle de l'Internet afin d'empêcher la publication de "rumeurs" et de matériel "vulgaire".
LIEU DE CONTESTATION
Ces sites sont de plus en plus souvent utilisés par les Chinois pour se plaindred'abus de pouvoir de fonctionnaires corrompus ou dénoncer de nombreux scandales, allant des aliments frelatés aux dangers de la pollution atmosphérique. A la fin du mois de juillet, la collision de deux TGV près de la ville de Wenzhou, qui a fait 40 morts, a ainsi été signalée en premier par un utilisateur de ces sites.
Officiellement, Sina Weibo indique dans ses conditions générales d'utilisation que les internautes ont droit à la liberté d'expression, mais une série d'alinéas vientamender la déclaration de principe. "Le fait que des formules comme 'portant atteinte à l'honneur ou aux intérêts de l'Etat' ne sont pas clairement définies fait partie du système de censure chinois", indique le site wagingnonviolence.org, qui suit le fonctionnement de la censure chinoise.
La censure des micromessages, qui n'est que l'une des nombreuses méthodesutilisées par les autorités pour contrôler Internet, n'est pas directe. Les censeurs ne suppriment pas directement les messages contraires à la loi. En revanche, la fonction "recherche" de ces sites est soumise à une censure automatique : lorsque l'internaute cherche un mot interdit, le site lui renvoie un message d'erreur.
Les mots clés à censurer font l'objet d'une mise à jour hebdomadaire, et c'est ensuite aux fournisseurs des services de la mettre en œuvre. Cette technique de filtrage, relativement flexible, permet de rendre peu visible du contenu, sans pour autant effacer directement les messages incriminés, ce qui réclamerait davantage de moyens.
PERSONNALITÉS DU PARTI ET PORNOGRAPHIE BLOQUÉES
Un étudiant de l'université de Pittsburgh, Jason Q. Ng., s'est appuyé sur le fonctionnement du système de censure pour élaborer une liste, mise à jour régulièrement, des termes censurés par les autorités chinoises. En utilisant un robot informatique, il a testé automatiquement l'ensemble des mots de la version chinoise de Wikipédia dans le moteur de recherche de Sina Weibo, et élaboré une liste des mots qui ne "passaient pas", qu'il compile et analyse au fur et à mesure sur un blog.
D'après les premières observations, la majorité des mots bloqués concernent des membres du Parti – de peur que les réseaux sociaux ne soient utilisés pour lescritiquer – et la pornographie, interdite par la loi chinoise.
De nombreux sujets politiques, comme le Tibet, l'islam, Falun Gong et les références à des dissidents complètent le tableau, qui comporte aussi des mots pour lesquels la raison du blocage est parfois difficile à comprendre, comme celui du mot "Deauville".
Le filtrage est toutefois relativement "souple" : certains mots se retrouvent bloqués temporairement, en fonction de l'actualité, et sont réautorisés après quelques jours ou semaines.
Le système n'est pas "particulièrement sophistiqué", indiquent les auteurs du site wagingnonviolence, décrivant les limites du dispositif. Si un utilisateur tape la requête "Nintendo 64", celle-ci renverra à un message d'erreur, car "64" fait référence au 4 juin 1989, jour des révoltes de la place Tiananmen. Les internautes se livrent donc à un jeu du chat et de la souris permanent avec les autorités, rivalisant d'ingéniosité pour modifier les mots clés de leurs messages.
Laurent Checola et Damien Leloup