- Publié le 30/01/2012 à 12:57
À ne pas manquer
PARIS (Reuters) - Contre l'avis du parquet, un juge indépendant va pouvoir enquêter sur la mort au combat en Afghanistan en 2008 de dix soldats français, au moment où l'engagement militaire de Paris dans ce pays est remis en question.
La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a confirmé lundi une ordonnance rendue par un juge d'instruction en mars 2011 et l'a autorisé à enquêter sur le chef "d'homicides involontaires", qui vise potentiellement la hiérarchie militaire, a-t-on appris de source judiciaire.
Il s'agira de déterminer s'il y a eu ou non des fautes "d'imprudence, de maladresse, d'inattention ou un manquement à une obligation de sécurité et de prudence" dans l'embuscade où était tombé un détachement français dans la vallée d'Ouzbine, à l'est de Kaboul, lors d'une patrouille le 18 août 2008.
Pris sous le feu d'insurgés afghans et encerclés, les Français avaient été tués par balles ou à l'arme blanche, un d'entre eux succombant à un accident dans son véhicule. L'accrochage avait fait en outre 21 blessés français.
L'épisode avait suscité un choc en France où il constituait l'une des pires pertes au combat depuis des décennies. Les insurgés s'étaient vanté de leur succès en exhibant aux reporters d'un grand magazine français des objets pris aux morts.
Une polémique avait suivi, l'armée française étant en particulier accusée d'avoir fait partir cette patrouille non urgente sans renseignements suffisants sur les capacités ennemies, sans appui aérien et même sans assez de munitions.
La procédure fait suite à une plainte de familles de victimes, dont huit sont parties civiles. Le parquet, qui avait rejeté une première plainte en 2009 et pense qu'il n'est pas possible d'imputer une faute pénale à l'armée en cas de décès de soldats au combat, peut encore se pourvoir en cassation.
AUTRES PROCÉDURES ?
Le juge d'instruction s'est appuyé sur un article du code militaire qui prévoit des poursuites notamment "si la mission a été manquée par négligence, ou si le coupable s'est laissé surprendre par l'ennemi".
Me Gilbert Collard, avocat des familles de victimes, assure qu'il n'agit pas contre l'armée mais estime qu'il faut établir les responsabilités et les manquements éventuels dans la chaîne de commandement, dans l'intérêt de l'armée elle-même.
"On n'a jamais dit qu'un militaire, quand il endossait un uniforme, n'endossait pas sa mort possible. En revanche, on a toujours dit qu'on n'avait pas le droit d'envoyer des soldats à la mort sans leur donner les moyens d'échapper à un guet-apens construit par la négligence, par le laxisme de la hiérarchie", a-t-il dit à la presse lundi.
L'Etat-major français s'était inquiété de cette possible décision judiciaire, car selon lui les morts au combat français ne peuvent être vues comme les victimes d'un quelconque délit des autorités.
"La judiciarisation, qu'elle soit nationale ou internationale, quand elle est excessive, mal comprise, met en péril notre efficacité opérationnelle", a dit le chef d'Etat-major des armées, Edouard Guillaud, cité par Le Monde, lors de la cérémonie des voeux aux armées.
D'autres procédures pourraient suivre cette première enquête puisque des plaintes ont été déposées concernant certains épisodes du conflit où ont péri à ce jour 82 soldats français depuis 2001, dont 26 en 2011.
La France, présente en Afghanistan depuis 2001, a avancé le retrait des unités combattantes françaises d'Afghanistan à fin 2013, a déclaré vendredi dernier Nicolas Sarkozy, à la suite de la mort de quatre soldats.
Il a rappelé que 400 soldats étaient rentrés en France l'an dernier et indiqué qu'ils seraient un millier de plus à quitter l'Afghanistan d'ici la fin de l'année 2012.
La France compte actuellement quelque 3.600 militaires en Afghanistan. Les Etats-Unis et leurs alliés, dont la France, ont prévu de retirer leurs forces d'ici 2014, après transfert aux autorités afghanes des responsabilités en matière de sécurité.
Selon un sondage CSA publié la semaine dernière, 84% des Français sont favorables à un retrait de leurs soldats d'ici fin 2012, comme le propose le candidat socialiste à la présidentielle, François Hollande.
Thierry Lévêque, édité par Patrick Vignal