Sombre anniversaire en Libye
Editorial | | 18.02.12 | 13h14 • Mis à jour le 18.02.12 | 13h14
De même que l'on ne pouvait s'attendre à ce que la Roumanie de Ceausescu se transforme en paradis helvétique sur la mer Noire du jour au lendemain, il ne fallait pas non plus espérer que la Libye se métamorphose aussitôt en modèle de démocratie et de respect des droits de l'homme. Les dégâts infligés par les dictatures aux pays et aux esprits durent bien plus longtemps que l'euphorie de la libération. On aurait donc tort de condamner prématurément la révolution libyenne à l'échec, un an après le début du soulèvement populaire qui, parti de Benghazi le 17 février 2011, aboutit le 20 octobre à la capture et à la mort sinistre du colonel Kadhafi, au terme d'une guerre meurtrière.
Au-delà du nécessaire réalisme, plusieurs motifs d'inquiétude, pourtant, assombrissent cet anniversaire. Ce sont, d'abord, les témoignages sur les nombreux cas de torture et de mauvais traitements réservés par les nouveaux maîtres de la Libye aux partisans de l'ancien régime. Ces témoignages, qui reflètent l'absence d'un début de construction d'un Etat de droit, ont été réunis par plusieurs ONG indépendantes et fiables - Human Rights Watch, Amnesty International, Médecins sans frontières. Le Comité international de la Croix-Rouge n'a, quant à lui, pas pu avoir accès à tous les centres de détention, ce qui est, généralement, mauvais signe.
Autre facteur de préoccupation, le Conseil national de transition (CNT), organe issu de la rébellion qui fait office de gouvernement en attendant les élections, n'arrive pas à établir son autorité sur le pays. Les milices, formées par les combattants qui ont mené la guerre victorieuse, entendent aussi garder leur part du pouvoir et morcellent la Libye, empêchant l'émergence d'un véritable sentiment national. Les vainqueurs de Zentan et de Misrata, notamment, deux places fortes de la rébellion anti-Kadhafi, refusent de rendre leurs armes et d'intégrer l'armée nationale ; leur base est le pouvoir local, au détriment de l'intérêt général. Les membres du CNT à Tripoli sont de plus en plus contestés, en particulier à Benghazi, dont les habitants se sentent dépossédés de "leur" révolution.
La région du Sahel, enfin, et surtout le Mali, où les armes et les ex-soldats de Kadhafi alimentent la rébellion, reste très déstabilisée par les dégâts collatéraux de la guerre libyenne.
Face à cette situation, la France et les pays alliés, dont le soutien militaire a permis la chute du dictateur, observent majoritairement un silence gêné. Comme les Américains en Irak, ils n'ont pas anticipé la phase de l'après-guerre. Mais, soucieux de ne pas reproduire, précisément, les erreurs de l'équipe Bush en Irak, ils ont voulu éviter les pièges du nation-building et laisser les Libyens prendre leur destin en main. Cette position est compréhensible. Elle ne doit pas exclure, cependant, des rappels, en privé et en public, des principes et des idées pour lesquels les forces occidentales se sont engagées en Libye, et sans lesquelles les rebelles ne seraient aujourd'hui au pouvoir ni à Tripoli ni à Misrata.