Devant l'ampleur de la polémique, deux chercheurs ayant créé un virus très dangereux pour l'homme ont accepté un moratoire pour que la communauté scientifique puisse débattre des risques de leur découverte.
C'est une situation très rare dans le monde de la recherche. Des scientifiques réputés ont accepté de suspendre pour deux mois leurs travaux sur le virus H5N1, eu égard à la forte inquiétude que ceux-ci ont suscité, notamment aux Etats-Unis.
Ron Fouchier, de l'Erasmus Medical Center aux Pays-bas, et Yoshi Kawaoke de l'Université du Wisconsin, ont travaillé indépendamment sur le virus de la grippe aviaire et obtenu chacun de leur côté une version potentiellement très dangereuse pour l'homme. D'ordinaire, les humains ne peuvent contracter le H5N1 qu'au contact d'un animal infecté, principalement des volatiles. Or les scientifiques ont prouvé à l'aide d'un modèle animal que ce virus pouvait muter jusqu'à devenir contagieux d'homme à homme par voie aérienne. Quand on sait que le H5N1 a jusqu'à présent entraîné la mort chez 60% des personnes infectées, l'idée de voir ce virus quitter les laboratoires où il a été généré a de quoi en inquiéter certains. Par comparaison, la grippe espagnole, qui aurait fait entre 20 et 40 millions de morts en 1918-1919, a tué 0,5% des personnes contaminées.
Fouchier et Kawaoke devaient publier les résultats de leurs travaux dans les prestigieuses revues scientifiques Science et Nature. Mais fin novembre, le comité consultatif gouvernemental américain sur la biosécurité s'est inquiété des conséquences de la diffusion de ces résultats sensibles. Qu'adviendrait-il si des bioterroristes s'en servaient pour jouer aux apprentis sorciers? Ils ont donc demandé aux auteurs et aux directeurs de publication de passer sous silence certains détails clés. Les deux chercheurs ont dans un premier temps refusé avec le soutien d'une partie de la communauté scientifique, arguant que la mutation pourrait un jour se produire naturellement et qu'il serait alors utile de mieux connaître le fonctionnement du virus.
Discussions prévues à Genève
Ils ont néanmoins accepté un moratoire pour laisser place à la discussion. Dans une lettre cosignée par 37 autres scientifiques et publiée mercredi par les deux revues, ils annoncent que tous les travaux en cours sur le H5N1 seront suspendus pendant 60 jours. «Nous comprenons qu'il nous faut, avec le reste de la communauté scientifique, expliquer clairement les bénéfices à tirer de ces recherches importantes et présenter les mesures qui sont prises pour minimiser les risques possibles. Nous proposons pour cela un forum international auquel la communauté scientifique pourra participer», écrivent-ils. Les discussions devraient avoir lieu à Genève le mois prochain, avec des participants choisis par l'Organisation mondiale de la santé.
Une polémique de cette ampleur est très rare. La dernière remonte au début des années 1970, lorsque des scientifiques commençaient à ajouter des séquences de gènes d'un animal au génome d'une autre espèce animale, éveillant la peur de voir naître des monstres hybrides. Ces pratiques sont désormais partie intégrante des expériences sur les maladies infectieuses et le cancer.
Depuis sa découverte en 1997, le virus H5N1 a contaminé environ 600 personnes dans le monde, dont plus de la moitié sont décédées.